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vivre aux Etats Unis

22 mars 2007 4 22 /03 /mars /2007 14:18
"La Vie des Autres": au temps de la RDA et du soupçon
Par Jean-Luc Douin, Le Monde.


Thriller ou film d'espionnage ? La Vie des autres peut être goûté en fonction de critères esthétiques. On s'y divertira d'un suspense, d'une atmosphère, entretenus l'un et l'autre par une mise en scène solide et un travail de documentation manifeste. L'auteur, nous dit-on, a passé quatre années à consulter archives et experts. Mais il s'agit aussi d'un film politique, de ceux qui revisitent l'histoire de leur pays sans tabous et témoignent de l'état adulte d'une société.

Inquiétante fiction, la Vie des autres est en effet, en même temps, un documentaire sur la Stasi, ses buts, ses méthodes. C'est en 1950 que, à la manière du KGB, est mis en place en République démocratique allemande (RDA, l'ex-Allemagne de l'Est) ce ministère pour la sécurité d'Etat, afin de traquer les opposants au régime. Le film commence à l'université où sont formés les futurs membres de cette police secrète. Impassible officier instructeur, Gerd Wiesler enseigne l'art de torturer les "arrogants" traîtres présumés, ennemis du socialisme.

Chacun ses méthodes : celle de Wiesler est d'empêcher ses proies de dormir. En manque de sommeil, professe-t-il, les innocents deviennent enragés, hurlent contre l'injustice dont ils sont victimes. Les coupables, eux, restent calmes et se taisent, car ils savent pourquoi ils sont là. Le film démontre que cette théorie est un leurre. De 1950 jusqu'en 1989 (date de la chute du mur de Berlin), le machiavélisme du pouvoir, la suspicion généralisée donnèrent aux citoyens de RDA bien des raisons d'avoir des insomnies, tant les enquêtes, les purges et les emprisonnements furent arbitraires.

AUSSI DIABOLIQUE QUE LE MINISTRE

En 1984, Georg Dreymann est mis sous surveillance. C'est un dramaturge considéré comme loyal au régime, non subversif. Raison de plus. "Trop poli pour être honnête, argumente le ministre de la culture. Il cache quelque chose ! Mes tripes me le disent !" Les arguments pour faire mettre Dreymann à la trappe sont douteux.

Officiellement, l'homme de théâtre est un individu dont il faut se méfier parce qu'il est ami avec un metteur en scène récemment interdit de travail pour avoir signé une pétition. Officieusement, il est l'amant d'une actrice dont le ministre a fait sa maîtresse, usant du chantage. Il n'est pas sorcier de convaincre un cadre de la Stasi, préoccupé par sa carrière, de truffer l'appartement de Dreymann de micros. C'est l'impitoyable Wiesler qui est désigné pour superviser les écoutes.

Aussi diabolique que le ministre, le scénario met en place une série d'événements soulignant la collusion entre affaires intimes et salut public, et démontrant que personne, dans ce contexte infernal, n'est au-dessus de tout soupçon. La Vie des autres se joue du caractère fluctuant des lumières et des ombres, comme dans Le Corbeau, de Georges Clouzot. Chacun peut y être perçu comme agent double, selon un intérêt caché, une caméra, une fausse preuve, un piège. La question de l'honnêteté du regard des espions est nouée à celle de l'ambiguïté légitime du comportement de toute personne humaine.

C'est peut-être là-dessus que le film emporte le morceau. Le ministre est un diable ensorcelé par sa libido, mais les autres bien autre chose que des silhouettes aux rôles tranchés. Homme de conscience, l'irréprochable Dreymann s'émeut du taux de suicides d'intellectuels en RDA, écrit à ce propos un article sous pseudonyme pour un journal de l'Ouest, cache sa machine à écrire, néglige le danger en ignorant ce qu'il doit au hasard et ce que subit son entourage. Christa, sa compagne, donne des gages d'amour, mais la menace de ne plus pouvoir exercer un métier qui lui est tout et d'être privée des médicaments qu'elle se procure clandestinement la rend fragile, susceptible de trahir.

CHUTE PRÉCIPITÉE

Le personnage de Wiesler, l'austère espion planqué dans les caves, n'est pas le moins équivoque. Vaillant petit soldat du pouvoir, ce solitaire otage de ses frustrations devient lui-même un homme obscur, culpabilisé d'être un voyeur, troublé par ce qu'il découvre : l'émotion procurée par l'art, la beauté de l'amour, la duplicité et le mensonge qui rongent son propre camp.

Homme d'idéal, cet "HGW XX 177" agit de bonne foi, même lorsqu'il tronque ses rapports. La façon dont le cinéaste lui rend hommage au final est-elle une manière d'absoudre d'anciens bourreaux, ou de suggérer que certains employés de la Stasi agirent en résistants ? Ce jeune cinéaste allemand n'entend-il pas plutôt souligner que, dans sa chute précipitée, la Stasi n'a pas pu détruire toutes ses archives et que 180 kilomètres de dossiers sont demeurés intacts, accessibles aux citoyens concernés et aux chercheurs ? Il a le cran de sortir de la caricature (la peinture clinique d'une entreprise totalitaire) pour traiter de manière humaniste une page noire de l'histoire allemande.

 
Film allemand de Florian Henckel von Donnersmarck avec Ulrich Mühe, Sebastien Koch, Martina Gedeck, Ulrich Tukur.

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